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lundi 20 janvier 2014

Gérard Dhôtel : portrait d'un journaliste/écrivain


Un double regard, une vraie passion pour la recherche du pourquoi, une plume agile et sûre d’elle : voici en quelques mots ce qui caractérise Gérard Dhôtel, journaliste et écrivain à la carrière et la bibliographie remarquable. L’une de ses dernières publications, Israël – Palestine : une terre pour deux (Actes sud junior), a ainsi gagné la Pépite du Documentaire 2013, remise à l’occasion du Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine Saint-Denis. 



Pourquoi avez-vous choisi de parler du conflit israélo-palestinien, un thème controversé ? 
C'est parce que, justement, il est controversé que je l'ai choisi. J'avais envie de comprendre ce conflit, comprendre aussi pourquoi il suscite tant de passions, de haines, d'incompréhensions. Pourquoi tant d'idées reçues sont proférées à son sujet. C'est une documentaliste qui m'a soufflé l'idée. Il n'y avait rien qui expliquait cette guerre. Que des ouvrages engagés ou très compliqués. Je me suis donc plongé dans ce sujet pour comprendre et, ensuite, pour expliquer. C'est mon métier. C'est ce que j'aime. 

Quels retours avez-vous eu ?
Côté Palestinien, quelques critiques. Des détails. Côté Israélien, pareil. Donc, c'est bon signe. Côté enseignants, parents, ados : souvent un merci. Genre : je ne comprends rien à ce qui se passe là-bas. Ca va m'aider.

© Arno - Actes Sud junior 2013

Vous êtes journaliste de profession, devenu écrivain. Regrettez-vous d’avoir mis entre parenthèses votre carrière dans la presse ? 
Non. Je ne regrette jamais les décisions que j'ai prises. En fait, la disponibilité engendrée par mon départ du Monde des ados, que je dirigeais jusqu'en 2010, m'a permis de me consacrer davantage à l'écriture. J'ai pu mener à bien des projets et, pour commencer, mon livre sur les ados, chez Thierry Magnier.

Comment a eu lieu cette transformation ? Peut-on d’ailleurs parler de transformation ?
J'avais déjà un pied dans l'édition. Là, j'ai pu y sauter à pieds joints, avec les deux pieds, je veux dire. C'est une transformation et ce sentiment étrange de changement de peau. Là, le 99% journaliste devient 75% auteur. Il faut s'organiser autrement, avoir une autre notion du temps, des urgences mais aussi de la gestion de son budget. Car l'édition paye beaucoup moins que le journalisme ! 

Quelle est la différence entre l’écriture journalistique et littéraire ?
L'écriture journalistique, c'est la narration des faits, leur explication, de façon concise, urgente. L'écriture plus narrative oblige l'auteur à plus se dévoiler, à se mettre en scène parfois. On a le temps, l'espace, la liberté. Quoique dans l'écriture de documentaires, les contraintes journalistiques reprennent le dessus. Et c'est une bonne chose car on s'oblige à écrire pour son lecteur, à être précis dans ses formulations, à chercher la bonne source, à réfléchir au sens de ce que l'on écrit...  

Quel regard portez-vous sur le panorama contemporain de l’offre éditoriale pour les adolescents ? Y a-t-il des vides à combler ?
Les ados ont beaucoup de livres - romans, docus, albums - et de magazines à leur disposition. Le choix est varié, de qualité, adapté à diverses situations. Le problème, c'est le prix. Personne n'a encore trouvé le modèle économique qui pourrait rendre le livre et la presse accessibles au plus grand nombre. Du coup, ce sont toujours les mêmes qui lisent. Pour moi, le frein principal de la non-lecture est social. 

Des conseils pour les jeunes écrivains ?
Ecrire, réécrire, se demander : mais pour qui je fais ça ? Puis faire lire, pas forcément à des proches car leur regard n'est pas objectif, il y a trop d'affect dans la relation. Trouver une bonne histoire, solide, construite, passionnante. La qualité d'écriture viendra après.

Qui sont vos références littéraires ?
Elles sont multiples car j'aime découvrir, picorer, essayer. J'aime Zola pour son statut d'écrivain/journaliste. J'aime Dumas pour sa façon de raconter l'histoire. J'aime Victor Hugo pour son engagement et ses visions d'avant-garde. J'aime Hergé pour m'avoir fait rêver avec Tintin. J'aime Jean Lacouture et ses biographies. J'aime les textes de Brel. J'aime Gérard Mordillat et ses épopées sociales.

Quel est votre écrivain préféré ? Et pour la jeunesse ?
Préféré ? Dumas, je crois. Pour la jeunesse ? Je suis fasciné par les illustrateurs. Enfin, par certains. Ils font ce que je ne saurais jamais faire !

Y a-t-il un illustrateur/trice avec lequel vous souhaiteriez travailler ?
Pas particulièrement. J'aime découvrir l'illustrateur/trice que me propose mon éditeur pour tel ou tel ouvrage.

Des projets futurs ?
Un docu sur la guerre d'Algérie à paraître en novembre (chez Actes Sud Junior), un docu sur les Etats-Unis (Nathan), "Comment parler d'histoire de France aux enfants (Baron Perché), un "Vrai-faux" sur l'histoire (De La Martinière).

Pourriez-vous choisir le passage d’un livre et l’analyser ?
J'ai écrit un livre chez Syros, il y a quelques années, "Bedirya la volontaire". Je ne sais pas trop s'il a marché ou non mais c'est mon préféré car il relate mon histoire. Ca se passe en Erythrée. C'est la rencontre d'une jeune fille et d'un journaliste. L'Afrique et l'Europe. J'ai choisi la structure à deux voix. Parfois, c'est Bedirya qui parle, parfois le journaliste et, de temps à autre, sur un même thème. Cette technique me permet de décrire le regard que l'un a sur l'autre, d'exprimer des sentiments, des sensations et, aussitôt de les contrebalancer par les propos de l'autre. C'est un jeu de miroir déformant.
J'adore.


Exemple :

La rivière à sec (Bedirya)

Il est bizarre, ce Français ! Il veut nous accompagner jusqu'au village. Pourquoi pas, après tout, s'il y tient. Mais je ne suis pas sûr qu'il aura la force d'y arriver. Il fait trop chaud. La femme d'Asmara remonte dans la voiture qui fait aussitôt demi-tour pour se diriger vers le village, par la piste. Nous reprenons le chemin de la rivière. L'homme nous suit. Les garçons rient en nous voyant passer.

Le village (Le journaliste)

Bedirya et Noura marchent de part et d'autre de l'âne. Je les suis, quelques pas derrière. Le soleil est encore plus brûlant que tout à l'heure. Quelle température peut-il faire ? 45°C, 50 ? Je n'en sais rien. C'est long. Quelle idée j'ai eue ! Je n'y arriverai jamais. Je transpire, je trébuche, je souffle. Je n'en peux plus... Bedirya se tourne vers moi. Elle sourit. Elle se moque de moi, c'est sûr. Non, son sourire est amical (...)