Satoe
Tone, née en 1984, a fait des études d’illustration et de graphisme à Kyoto
(Japon). Puis elle est partie en Grande Bretagne pour apprendre l’anglais.
En 2013,
elle a gagné le Prix International de l’illustration à la Foire du livre
jeunesse de Bologne (Italie).
Bibliographie :
- Je peux le faire, Passepartout, 2011
- Mon meilleur ami, Passepartout, 2012
- Cœur d’étoiles, Passepartout, 2012
- La très grande carotte, Balivernes, 2012
- Une si jolie Terre, Balivernes, 2013
- Du chocolat pour toi, Passepartout, 2013
Vous êtes née au Japon, vous avez étudié en
Grande-Bretagne et vous vivez désormais en Italie. Quel hasard vous a conduit à
Milan ?
J’ai
souvent déménagé, même quand j’habitais au Japon. Ces dix dernières années,
j’ai beaucoup bougé. C’est arrivé comme ça, il n’y avait pas forcément une
envie spécifique. Ayant vécu dans des endroits si différents, j’ai rencontré beaucoup
de gens qui m’ont laissé autant des souvenirs. C’est quelque chose de beau
et de triste en même temps.
Je ne
sais pas pourquoi je suis arrivée à Milan. C’est comme si plusieurs morceaux
s’étaient unis en un dessin cohérent qui m’a mené là. Pour l’instant, je veux y
rester. Je n’envisage pas de changer.
Où vous sentez-vous vraiment chez vous ?
Autrefois,
la vielle maison familiale était l’endroit où je me sentais chez moi.
Désormais, elle n’existe plus.
![]() |
© Satoe Tone - Passepartout 2011 |
Quelles sont les différences entre illustrations
occidentale et orientale ? De qui vous sentez-vous l’héritière ?
J’ai
l’impression que l’illustration occidentale est plus abstraite, alors que
l’orientale est plus concrète. Quand j’étudiais à l’université, j’imitais
beaucoup de peintres et d’illustrateurs célèbres. Pourtant, mes dessins étaient
toujours médiocres et jamais très originaux. Personne ne les appréciait. Après
mes études, je me suis éloignée du monde de l’art et j’ai commencé à observer
la nature. Maintenant, quand je me sens perdue et que je ne sais pas comment
dessiner quelque chose, je me tourne vers elle. Elle m’apprend beaucoup de
choses intimes et profondes.
J’aime
aussi échanger avec des gens qui n’appartiennent pas au milieu de l’illustration.
Le monde est si grand ! Pour tout dire, c’est seulement l’année dernière,
quand j’ai déménagé en Italie, que j’ai recommencé à aller voir des
expositions. Mais pas pour étudier. Juste pour le plaisir.
Quelles sont les différences entre le marché du
livre jeunesse au Japon et en Europe (France et Italie en particulier) ?
J’ai
l’impression que les livres italiens et français sont plus libres. Le dessin
joue un rôle très important. Les éditeurs respectent les différents styles des
artistes et n’interviennent pas trop pour simplifier les choses, pour les
rendre plus accessibles aux enfants. Les images ont alors une lisibilité
différente et sont également appréciées par les adultes. Et les adultes
européens achètent plus de livres que leurs homologues japonais ! Bien
évidemment, ce ne sont que des généralisations et des impressions personnelles.
![]() |
© Satoe Tone - Passepartout 2012 |
Qui sont vos illustrateurs préférés ?
Il y en a
tellement ! Je pense, par exemple, à Seiji Fujishiro, un grand artiste du
shadowgraph. J’adore ses œuvres. Je n’arrive pas bien à expliquer pourquoi,
mais il suffit de les regarder. Elles sont exceptionnelles. Il y a aussi Yumeji
Takehisa, un artiste d’il y a cent ans et pourtant encore si original et novateur.
Il est considéré comme un des pionniers du graphic design au Japon. J’aime bien
sa manière d’utiliser les couleurs, le dessin et la composition. C’était un
génie.
Quel est votre écrivain préféré ?
Nanckichi
Niimi. Il est très connu au Japon. Mon livre préféré s’intitule Gon, the little fox. Il n’a pas beaucoup
écrit, car il est mort quand il était jeune. Pourtant, ses histoires me
touchent et me font réfléchir.
![]() |
© Satoe Tone - Kite 2012 |
Comment naissent vos histoires?
Au début
personne ne me connaissait. Alors, j’ai du faire tout toute seule, même si
c’était difficile. Initialement, je ne voulais que dessiner. Après, j’ai créé
mon monde, là où habitent tous mes personnages. Je les connais très bien, je
les comprends. Ce sont eux qui me disent comment ils veulent être dessinés.
N’aimeriez pas vous travailler maintenant avec un
écrivain ?
Peut-être
que je suis un peu rigide, mais désormais je préfère travailler toute seule. Je
sens que, même si j’ai à faire à une belle histoire, je ne pourrais vraiment
rentrer dans le monde créé par quelqu’un d’autre. Mes dessins seraient donc
incomplets.
Pingouins, chats et surtout lapins : voici vos
personnages. D’où vient cet amour pour la nature ?
Je pense
que les animaux ont ce que les hommes ne peuvent pas avoir. Ou, peut-être, ils
n’ont pas les même choses. Ils sont innocents, beaux et forts. Ils vivent pour
vivre. Les conditions de vie sont tellement dures et, pourtant, ils essayent
toujours d’aller en avant. Ils ont des émotions pures. Je suis amoureuse d’eux.
Le prix gagné à Bologne en 2013 a t-il changé votre
vie ?
Cette
victoire a seulement changé la vitesse de ma vie d’artiste. Mais je ne peux pas
me sentir satisfaite. D’autant plus qu’il apparaîtrait comme la seule chose
remarquable de mon parcours. Je n’ai pas encore l’expérience et les compétences
que je souhaiterais avoir. Il y a encore du chemin !
Et la rencontre avec Kite/Passepartout ?
Je ne
peux pas définir cette rencontre comme un changement, mais plutôt comme un vrai
début.
Des projets futurs ?
Le lapin,
qui s’appelle Moka, attend d’être
dessiné avec tous ses copains !
Choisissez une des vos illustrations et analysez-la.
Je ne réfléchis pas beaucoup à la composition, aux couleurs etc. Je réalise
instinctivement l’image que j’ai en tête. Cela arrive surtout quand je dessine Moka. C’est comme si lui en personne me
disait comment il veut que je le dessine. Il a décidé que ses couleurs sont le
bleu, le rose et le blanc. Et moi je donne corps avec l’acrylique et la gouache
à ses histoires.